Zalefan n'était pas vraiment son royaume de prédilection : trop de risques d'y perdre sa liberté. Pourtant, après son récent séjour à Thanaliel, c'était difficile de se convaincre que seuls les fonds marins regorgeaient d'esclavagistes prêts à lui passer des chaînes aux poignets. Elle ne s’aventurerait pas au nord pour autant, mais l'océan lui manquait. Et peu importe si, avant, elle le parcourait au-dessus des vagues et pas en-dessous : en tant que marchande itinérante, elle avait le droit de se poser temporairement dans une des boutiques de Cathadrilla, et elle ne se ferait pas prier. L'odeur des embruns remontait même dans les parties asséchées de la capitale. Izzri'May resta un instant immobile dans un des couloirs prévus pour les terrestres, le temps de s'imprégner de l'odeur de la mer. Pourquoi le monde avait-il souhaité la priver de ça ?
Elle se remit en marche avant que la nostalgie la frappe trop fort et ne la fige sur place. Réajustant sur sac sur son épaule et vérifiant la présence de ses armes à sa ceinture, elle continua de marcher jusqu'à l'échoppe qu'on lui prêtait pour quelques temps. Elle avait réussi à accumuler pas mal de raretés du continent qui devraient lui rapporter beaucoup. Elle était donc en train de s'installer pour l'ouverture matinale du quartier quand elle aperçut un garçon aux bras chargés de produits laitiers. Vu le pays, probablement des produits de balboune. Depuis combien de temps n'avait-elle pas mangé de fromage ?
Cette pensée traversait à peine son esprit qu'elle avait déjà contourné son stand pour s'approcher du jeune homme. Elle n'avait jamais été du genre altruiste, mais...
- Besoin d'un coup de main ?
Intéressée ? Un peu. Quand on arrive à bien s'entendre avec les marchands ou leurs assistants - ou quel que soit le rôle de ce gamin - il est plus facile d'obtenir leurs faveurs ensuite. En guise de faveur, elle n'aurait pas dit non à une petite ristourne sur le prix des produits. Oui, elle avait largement les moyens de se payer la moitié de la boutique, mais on ne vivait pas une vie de pirate sans avoir du mal à se détacher de son argent. Et elle avait beaucoup, beaucoup de mal à se détacher de son argent.
Au fond, elle ne négligeait pas non plus la possibilité, en plus de celle de marchander un peu les prix, de réussir à l'intéresser. Beaucoup de jeunes de Nitzihell étaient intéressés par l'idée de voyager ou de quitter leur ville ou leur pays natal. Elle ne pouvait pas les en blâmer : c'était son mode de vie et sa raison d'être. Ne jamais rester au même endroit, profiter du monde. Elle avait l'avantage - et la malédiction - de l'immortalité, alors elle en profitait à fond.
Et ces jeunes rêvant de voyages étaient souvent des proies faciles pour les marchands qui voulaient se faire quelques arafirs faciles. Les marchands comme elle, qui n'en avait que le nom.