Le baiser est la plus sûre façon de se taire en disant tout [Jake]

Ils étaient sortis. Une partie du stress de Jake disparut en même temps que les premières personnes qu'il dépassèrent pour s'éloigner du bâtiment, mais son cœur ne cessait de tambouriner dans sa poitrine. La main de Sohan dans la sienne faisait courir des petits éclairs sur sa peau et il ne parvenait pas à tout comprendre. Il avait bien une petite idée, un écho du passé très lointain et un autre d'un passé beaucoup plus proche, de la sensation froide de son souffle sur ses lèvres. Rien que le souvenir fit remonter un frisson sur sa peau et l'étreinte de sa main se raffermit sans qu'il en ait conscience. Ils étaient déjà à une certaine distance de manoir quand une petite résistance lui indiqua que le jeune homme marchant jusque là derrière lui s'était arrêté.

- Sohan ?

Il se retourna, intrigué. Le tezouic semblait un peu perdu dans ses pensées, le regard tourné vers le sol mais semblant incapable de se poser. Il allait rouvrir la bouche pour lui demander ce qui n'allait pas, mais son geste le prit de court et un nouveau frisson courut sur sa peau. Malgré lui, son regard se figea sur le mouvement de ses doigts, se perdit sur ses lèvres, et son cœur bondit dans sa poitrine dans une réaction qu'il n'arrivait pas pleinement à assimiler. Le petit déplacement de son doigt avait un effet hypnotisant qui, un instant et jusqu'à ce que sa voix s'invite à ses oreilles, le détacha de la réalité.

- Hein ? Euh...

Il cligna des yeux plusieurs fois pour reprendre ses esprits, luttant bien plus qu'il ne l'aurait cru pour réussir à replonger son regard dans les prunelles couleur de glace de son protégé, mais cela ne calma pas le tambourinement dans sa poitrine, bien au contraire. Il y avait trop d'intensité dans ce regard pour qu'il ne se sente pas vaciller. Trop d'interrogation. Chacun de ses petites mouvements étaient une attaque supplémentaire contre son cœur et il le sentit fondre d'attendrissement lorsque Sohan posa sa joue contre son bâton.

- Non tu n'avais rien... c'est...

Il perdait ses mots devant cet afflux d'émotions difficiles à comprendre et à identifier. Était-ce que qu'avait ressenti son amie avant de l'embrasser? Était-ce qu'elle avait cru qu'il ressentirait ?
Est-ce que Sohan le ressentait aussi ?
Une légère ligne d'angoisse s'insinua dans son cocktail émotionnel. Et s'il était le seul à avoir cette émotion qui lui transperçait la poitrine ? Ce genre de choses pouvait être à sens unique, non ? Il le savait, il l'avait vécu aux premières loges. Il inspira, plus incertain encore qu'il ne l'était déjà.

- Est-ce que... tu as ressenti quelque chose ?

Sa nervosité peu habituelle se ressentait dans sa voix. Lui qui pouvait d'ordinaire la contrôler à un point surhumain n'avait pas pu l'empêcher de trembloter d'hésitation. Il avait l'impression d'avoir vingt ans de moins. C'était le genre de choses qu'on était censé découvrir, ressentir pour la première fois bien plus jeune, non ? Tout ce temps, il s'était persuadé qu'il faisait partie des gens qui ne le connaîtrait jamais, et ce petit tezouic venait bouleverser ses certitudes.

Ses pensées se bousculaient dans sa tête sans qu'il parviennent à en saisir une seule au vol. Il n'arrivait plus à mettre en mots tout ce qui s'agitait dans son cœur et seuls les petits mouvements de Sohan, de ses yeux et de ses mains, parvenaient à le maintenir dans la réalité. À chaque fois qu'il relevait un peu la tête vers lui sans croiser son regard, Jake se sentait trembler. C'était... excessivement perturbant. Ne pas savoir ce qu'il allait répondre, ne pas savoir ce qu'il ressentait. Lui qui avait l'habitude de tout planifier et préparer à l'avance se retrouvait face à une donnée imprévisible qui menaçait de faire imploser son coeur. Mais, finalement, le jeune homme prit la parole pour répondre à sa question.

Sa description était si détaillée que Jake ne put retenir un petit rire soufflé. Sa façon de trouver les mots pour exprimer en détail ce que lui-même n'arrivait pas à découper ne serait-ce qu'en un assemblement de syllabes était attendrissante. Comme si quelqu'un serrait son coeur très fort, hein... Oui... Il n'avait pas totalement tort...

S'approchant doucement, Jake le laissa finir, enchaîner les questions et les explications, puis il prit doucement sa main dans la sienne, la ramenant vers lui pour la poser contre son coeur. Il n'avait pas la moindre idée de la façon dont les battement affolés dans la poitrine pouvaient être perçus de l'extérieur, mais il avait besoin d'un contact, de sentir sa présence. Son autre main vint doucement effleurer sa joue.

- Tu l'exprimes bien mieux que moi.

C'était déconcertant. Il avait une façon de parler, une façon de présenter les choses qui dénotaient une innocence que Jake n'avait que rarement vue dans sa vie, et qui avait une capacité incroyable à le faire craquer et à rejeter tout ce qu'il pensait savoir. Il se pencha vers lui, approcha à nouveau ses lèvres des siennes, pour sentir encore le souffle froid sur sa peau, se mêler au sien à peine plus chaud malgré ses pouvoirs sur le feu. Son coeur s'affola totalement, comme s'il cherchait à lui échapper, et il ne put empêcher ses yeux de s'étrécir légèrement, rejetés par ses autres sens.

- Tu le ressens toujours..?

Lui n'aurait pas pu le nier. Pas avec le tambourinement dans sa cage thoracique, pas avec l'affolement si peu habituel de sa respiration. C'était la première fois de sa vie qu'il comprenait ce que ressentaient les gens qui découvraient ce genre de chose, qu'il comprenait pleinement la dose de frustration que le premier et seul rejet qu'il avait donné avait pu provoquer. Sa témérité naturelle s'écrasait totalement face à la peur que Sohan ne dénie ses propres paroles et que tout ceci n'ait été que... quoi ? Une illusion, peut-être.

Ses mains étaient immobiles. L'une posée contre sa joue, l'autre serrée autour de celle qu'il maintenait contre son coeur. Son visage se rapprocha malgré lui et il ne dut qu'à une poussée de maîtrise de lui-même de ne pas purement et simplement poser ses lèvres sur les siennes. Malgré tout, il les effleura, dans une contact grisant qui traversa son corps entier comme l'aurait fait la foudre. Il papillonna des yeux, parvint à replonger son regard dans celui de son protégé, se sentit perdre la tête un peu plus. Il voulait véritablement sentit le contact de sa peau, le cou de ses lèvres, mais la force qui le retenait était plus solide que celle qui le poussait en avant.

Contrôler l'angoisse. Ça ne lui ressemblait pas de stresser ; de manière générale, il avait plus souvent le contrôle qu'autre chose, et il ne se laissait pas souvent embarquer dans ce genre d'émotions. Mais il ne pouvait empêcher son cerveau de tourner en boucle et d'imaginer les pires scénarios possible. Son esprit analytique se retournait contre lui, pernicieux, essayant seconde après seconde de le convaincre qu'il ne vivait qu'une illusion temporaire. Pourtant il sentait le froid du souffle qui se mêlait au sien, la finesse de la main dans la sienne, la multitude de frissons qui courait sur sa peau.

L'effleurement de ses lèvres quand elles s'agitèrent sur un simple mot de Sohan fit bondir son cœur dans sa poitrine au moins autant que le sens du mot lui-même. Ses émotions comprenaient avant lui. Bien avant lui. Il resta un instant à se perdre dans le bleu glacé de ses yeux, privé de parole, tandis que la compréhension qui avait tant fait trembler son cœur remontait lentement mais sûrement jusqu'à son esprit. Un mot, un seul. Un "oui" qui redéfinissait toute sa réalité.

- Tu n'es pas très loin de la vérité…

Serrer son cœur entre ses doigts ou tenir ses émotions au creux de sa main, l'idée restait la même, et les sentiments qui pulsaient au rythme de chaque battement dans sa poitrine semblaient hurler, crier de véritablement sentir cette main contre lui mais, plus encore, les lèvres qui s'étaient détournées sur des mots d'excuse vite oubliés. Il le ressentait toujours. C'était bien ce que voulait dire ce petit "oui", pas vrai ? Que la sensation qui lui serrait la poitrine n'existait pas que dans la sienne.

Suivant un instant des yeux le mouvement de sa main, et ignorant sans la comprendre la petite pointe de jalousie de son cœur qui voulait glisser sa propre paume à ses côtés, Jake vint caresser la joue du jeune homme du bout de son pouce. Des vieux souvenirs vides de sensations revinrent s'inviter dans sa tête, se changèrent en imagination. Il voulait savoir ce que ça faisait, quand les sentiments suivaient la voie qui leur était tracée, quand l'indifférence, aussi involontaire soit-elle, ne régnait pas sur la scène. Alors il se pencha à nouveau en avant, tournant et relevant délicatement le visage qu'il tenait au creux de sa paume pour approcher ses lèvres de siennes.

Un courant électrique courut de la pulpe directement jusqu'à son cœur, fusant à travers ses veines dès l'infime fraction de seconde où leurs lèvres se rencontrèrent véritablement. Il sentit ses muscles trembler au plus profond d'eux-mêmes, son cœur perdre brusquement le rythme, s'apaiser, repartir de plus belle pour se détendre à nouveau, comme s'il était désormais incapable de choisir une vitesse de croisière. Il aurait pu se contenter de l'effleurer, d'un baiser bref et fugace, mais tout son corps s'y refusa. Il se rapprocha imperceptiblement, refusa de rompre l'échange qui lui avait, finalement, un peu trop été refusé. Le contact s'intensifia malgré lui, contrôlé entièrement par les pulsations anarchiques qui résonnaient à ses tempes et cognaient dans sa cage thoracique. Il n'avait pas envie que ça s'arrête.

Ses lèvres avaient un goût exquis. Un goût de neige, de fraîcheur, un goût d'émotions qui lui avaient jusqu'à ce jour paru inaccessibles. Son cœur battait à un rythme un peu trop inédit pour le laisser vraiment serein. C'était donc ça qu'on était censé ressentir… Des picotements qui couraient sur sa peau, s'infiltraient dans ses veines, se distillaient dans son cœur comme autant de perles de glace ou de flocons de neige. Ses lèvres cherchaient plus de contact, plus de trésors givrés à graver éternellement dans sa chair.

Ça ne dura pas assez longtemps. Est-ce que cela pouvait durer assez longtemps ? Une sensation étrange lui arracha son contact, faisant toussoter le jeune homme sans que l'esprit de Jake n'ait vraiment rattrapé son retard sur la situation. Il venait de se passer quelque chose. Quoi, exactement ? Il n'en était pas vraiment sûr, mais l'étreinte soudaine du tezouic se jetant dans ses bras empêcha au moins ses vieilles angoisses de le noyer sous une douche froide. Il passa ses bras autour de la frêle silhouette par réflexe, relâchant la main qu'il tenait jusque là, geste de tendresse instinctif qui, à lui seul, lui fit manquer un battement de cœur supplémentaire. Les excuses naïves qu'il reçut lui tirèrent un petit rire qui ne fit que raffermir son étreinte.

Ensuite de quoi il baissa les yeux en sentant le plus jeune lever la tête, et quelque chose trembla plus profondément encore dans sa poitrine. Les iris couleur de ciel d'hiver qui se fixaient dans les siens avait un effet terriblement grandissant sur son cœur. Cependant, il ne put aller contre un petit froncement de sourcil.

- Un jour ?

Comment ça, "un jour" ? Cette promesse beaucoup trop vague s'infiltra si vite dans son esprit qu'il ne réalisa pas tout de suite le sens du "jamais" qu'avait prononcé son protégé. Peut-être un jour… Plissant les yeux, il laissa 'lune de ses mains remonter le long du dos du jeune homme, effleurant son cou du bout des doigts pour se perdre dans le contour de sa mâchoire. Un jour… Pourquoi attendre si longtemps...?

La remarque sur ses mains, sortit de nulle part, transforma son expression légèrement contrariée en surprise, qui devint elle-même un petit sourire. Il remonta encore un peu ses doigts contre sa joue, jouant délicatement sous son menton, à moitié conscient, à moitié perdu dans ses pensées. Celle du petit tezouic vint doucement se poser contre elle et Jake eut un instant de silence. Puis il se pencha en avant, effleurant sa lèvre inférieure du bout du pouce.

- Pourquoi "un jour" ? Pourquoi pas… maintenant ?

Il était adorable. Comment aurait-il pu ne pas avoir envie de sentir ses lèvres contre les siennes encore une fois, le tenir dans ses bras, entendre sa voix, admirer ses yeux couleur de ciel d'hiver ? Mais il avait dit "un jour", et cette affirmation l'intriguait. L'inquiétait, aussi. Mais non. Sohan avait ressenti la même chose que lui. Son petit sourire le rassura, en grande partie.

- Bien sûr que je veux.

"Si tu veux bien", quelle question. Pour la première fois de sa vie, il ressentait quelque chose, une vraie attraction pour quelqu'un, un véritable attrait à l'idée de se rapprocher d'une personne autrement qu'envers un ami, un sentiment qui faisait battre son cœur juste en posant ses yeux sur lui.

- Tu veux que je te porte ?

Un petit sourire malicieux se dessina sur ses lèvres. Cela lui rappelait leur première rencontre, quand Sohan avait mis en doute sa force. Cette fois, la situation était bien différente, et la timidité de Sohan faisait écho à la sienne.

- Difficile ? Tu es toujours aussi léger, tezouic, je peux te porter à une main, tu te rappelles ?

Il glissa une main sur sa hanche, frissonnant par réflexe malgré le gant qui les séparait. Il pouvait imaginer la douceur et le grain de sa peau, même sans la sentir directement sous ses doigts. Il avait envie de l'embrasser, encore, vraiment, jusqu'à ce que ça devienne naturel, jusqu'à ce que son cœur explose, jusqu'à e qu'il ne puisse pas s'imaginer respirer autrement.
Son autre bras passa autour de la taille du jeune homme pour le soulever du sol, le rapprocher de ses lèvres.

- Je peux t'embrasser ?